Adele fait la une du célèbre magazine Vanity Fair de l’édition US de décembre 2016. L’interview (en anglais), réalisée par Lisa Robinson, est disponible ici.
Beyoncé : « Quand Adele chante, vous pouvez sentir que c’est honnête, pur et sans filtre. Elle crée des chansons qui sont intenses et qui expriment la douleur et la vulnérabilité et tout cela avec sa voix soul et puissante. Elle vous transporte, là où d’autres artistes ne vont plus désormais – elle a cette magie des années 70. »
Adele : « Je rigole quand je vois tout ce qui se passe dans ma carrière. A un moment donné, le réalisateur du Truman Show va débarquer et va me dire que ce n’était qu’un film. »
Le Porsche Cayenne s’arrête devant l’allée de mon hôtel. Adele est au volant et seule dans la voiture. Quand je rentre dans le SUV, elle m’explique qu’elle adore conduire seule – bien qu’il y ait un dispositif de sécurité dans la voiture devant nous. Nous sommes en chemin vers le Staples Center pour le deuxième des huit concerts à guichets fermés. Los Angeles, c’est la 43ème ville de la tournée (nommée Adele Live 2016, ndlr). Elle porte une haut froufrou blanc et des mocassins beige. Elle porte également un bracelet Van Cleef & Arpels avec des fleurs colorées sur son bras droit. Adele a opté pour un chignon large, ses grands yeux verts sont cachés derrière des lunettes de soleil et elle n’est pas maquillée, elle est naturellement magnifique. Elle est très sociable et totalement à l’aise. Nous avons immédiatement parlé de Los Angeles. Elle a récemment acheté une maison à Beverly Hills parce qu’elle y passe beaucoup à enregistrer et en avait marre de louer des maisons qui n’étaient pas sûres pour le bébé, ou pas assez privées, ou avec une piscine cassée, c’était une perte d’argent. Lors du concert de la nuit précédente, elle a eu une pensée pour son nouveau supermarché favori : Bristol Farms. Elle s’extasie sur leur fromage balsamique (« J’ai absolument tout mangé ») et, d’une manière ou d’une autre, nous enchaînons et parlons de sa tenue pour le concert. Elle me montre ses longs faux ongles, qu’elle s’empressera, dit-elle, de les enlever après la tournée. Elle me dit qu’elle a attendu des semaines pour avoir de tels sourcils parce que la seule femme qui elle a eu la possibilité de les toucher habite à Los Angeles. Et elle me raconte comment, après un mois, elle s’est rasée les jambes parce qu’elle s’imaginait que les personnes au premier rang de ses concerts pouvaient le remarquer quand elle monte les marches pour aller sur la scène. Je lui demande si Simon Konecki (son petit ami depuis 5 ans et le père d’Angelo) pensait quelque chose de ses jambes non rasées. « Il n’a pas le choix », répond-elle. « Je n’accepterai aucun homme me disant de raser mes putain de jambes. Rase plutôt les tiennes ! ».
Nous sommes dans la voiture depuis environ 10 minutes quand elle commence à parler des joies et des problèmes de la maternité. Je lui dis qu’elle est très courageuse d’avoir un enfant au milieu d’une si grande et prestigieuse carrière. « En fait », dit-elle, « je pense que c’est plus courageux de ne pas avoir d’enfants ; tous mes amis et moi avons subi une pression énorme pour avoir des enfants, parce que c’est ce que doivent faire les adultes, en principe. J’aime mon fils plus que tout, mais dès que j’ai une minute à moi, j’aimerais faire tout ce que j’ai envie de faire, quand j’ai envie de le faire. Et je ressens ça chaque jour. » Je lui demande si elle veut d’autres d’enfants. « Je ne pense pas » répond-elle. Je lui dis que, souvent, les mères veulent donner à leur enfant un petit frère ou une petite soeur. Mais Simon a déjà une fille, issue d’un précédent mariage, très proche avec la famille, c’était comme si Angelo avait déjà une soeur. « Exactement », répond-elle, « donc ça m’offre une porte de sortie ! J’ai vraiment trop peur d’avoir un autre enfant. J’ai fait une très grosse dépression post-partum après la naissance de mon fils et ça m’a réellement effrayé. » A-t-elle pris des antidépresseurs ? « Non, non, non, non. Mais j’en ai parlé à personne… J’étais très réticente à cette idée. Mon petit ami m’a conseillé d’en parler à d’autres femmes enceintes, mais je lui ai répondu : « Va te faire voir, je ne vais pas aller traîner avec une bande de femmes enceintes Après, sans m’en rendre compte, je me suis rapprochée et ai parlé avec des femmes enceintes et d’autres femmes avec des enfants, parce que je les trouvais un peu plus patientes. Néanmoins, dans cette situation, tu parles à quelqu’un mais tu ne l’écoutes pas réellement parce que tu es si fatiguée. »
Mes amis qui n’avaient pas d’enfants s’agaçaient à mes côtés », continue-t-elle « tandis que moi je voulais juste m’asseoir et absolument parler avec mes amis qui avaient des enfants. Et sans que l’on se juge les uns et les autres. Un jour, j’ai dit à une de mes amis : « Putain, mais qu’est-ce que je déteste ça ! ». Elle a éclaté en sanglot et m’a dit : « Moi aussi, je déteste ça ! ». Tout a été dit. Et ça m’a soulagé. Ma connaissance de la dépression post-partum ou post-natale, comme on dit chez nous en Angleterre, c’est que tu ne veux pas être avec ton enfant, à chaque instant t’es inquiète de lui faire du mal, tu as peur de mal faire votre job. Mais moi j’étais vraiment dingue de mon enfant. Je me sentais très maladroite. J’avais l’impression d’avoir pris la pire décision de ma vie. Cela peut se manifester sous différentes formes. Et finalement, je me suis dit que j’allais m’accorder une après-midi par semaine pour faire tout ce que j’avais envie de faire sans mon bébé. Et un des amis m’a demandé : « Vraiment ? Tu veux vraiment le faire ? Tu ne te sens pas mal ? ». J’ai répondu que oui, mais que si je ne le faisais pas, je me serais senti aussi mal. Quatre de mes amies ont ressenti la même chose que moi, mais elles étaient toutes embarrassées d’en parler : elles s’imaginaient que les autres allaient penser que c’était des mauvaises mères. Si vous vous donnez du temps libre, ça fait de vous une meilleure mère. J’adore partir en tournée (la tournée a commencé le 29 février dernier et s’arrêtera le 21 novembre 2016, après 107 dates, ndlr) mais parfois je me sens coupable de faire cette grosse tournée et même si mon fils est tout le temps avec moi, certaines nuits je ne peux pas le mettre au lit. Je ne me sens jamais coupable quand je ne travaille pas. Vous essayez constamment de tout faire pour votre enfant quand vous êtes une mère. Ça ne me dérange pas parce que je ressens un réel amour pour lui. Et je m’en fiche si je n’arrive plus à faire quelque chose pour moi ». Et tandis qu’elle a, évidemment, une nounou, elle n’est définitivement pas une de ces mères célèbres qui délaisse son enfant à une baby-sitter, après une photo prise dans une fausse aire de jeux.

Nous enchaînons ensuite sur les élections présidentielles américaines. « On connait seulement Trump grâce à The Appendice (une émission de télé-réalité américaine, ndlr) », dit-elle, « et on arrive à concevoir qu’une star de la téléréalité est candidat à la présidentielle. Je ne pense pas que quelqu’un devrait construire des murs et des merdes dans ce genre. Je pense surtout que nous devons veiller les uns sur les autres. Tout le monde doit voter ». Elle me raconte comment, alors qu’elle ne pouvait plus parler pendant sept semaines suite à son opération des cordes vocales en 2011, elle communicait. « J’écrivais absolument tout. Et ça été agréable, parce que c’était le début de ma relation avec mon petit ami, et parce que maintenant ça laisse des souvenirs pour nos enfants ». Elle ajoute que Simon et elle ne sont pas mariés et qu’elle n’en avait pas besoin ; elle pense que d’avoir un enfant ensemble est l’engagement le plus important. Et dans sa « vraie » vie, pas sa vie professionnelle, elle est tellement privée et protectrice avec son fils qu’elle « suivrai quiconque qui se rapprocherait trop de [son] fils », dit-elle.
Alors que nous pénétrons dans les backstages du Staples Center, Adele – la gagnante aux 10 Grammys Awards – m’explique qu’elle est « nostalgique » à propos de cette arène parce que c’est là que se déroulent chaque année les Grammys Awards. Nous entrons dans son immense dressing privé et je remarque qu’elle plus grande que je ne l’imaginais – « je mesure 1 mètre 75 » me dit-elle. Elle enlève ses chaussures et marche pieds nus sur le tapis. La chambre a de longs rideaux blancs, de longs sofas, et une télé écran-plat sur le mur. Dans un coin de la chambre, il y a une aire de jeux pour enfant avec une motocyclette, une kitchenette toute équipée (petits pots, casseroles, tasses et soucoupes), des jeux, une boite de Crayola, et des livres. Les bougies parfumées, senteur Rose et Baies, sont allumées, et il y a une table de maquillage complète dans un autre coin. Elle me dit que nous avons encore 20 minutes pour parler, puis elle ajoute qu’ensuite elle devra partir pendant 10 minutes pour les réglages sonores du concert de ce soir et qu’elle ira faire après, pendant encore 10 minutes, ses échauffements vocaux. Elle conclut en me disant qu’elle pourra de nouveau parler avec moi après être maquillée. Je lui demande si elle est tout le temps organisée. Elle admet qu’elle a toujours été en pleine maîtrise de sa vie et confortable dans sa peau : « Ça vient probablement de mon éducation. Je suis issue d’une très grande famille où la plupart des femmes ont tout appris par elles-mêmes ». [Plus tard, son manager, Jonathan Dickins – la seule personne à qui elle fait pleinement confiance après son petit ami – m’a raconté : « Je l’ai rencontrée quand elle vivait au dessus d’une épicerie, à côté d’une station-service et à une époque où elle pouvait entrer dans une pièce et et se foutre complètement de qui elle avait à affaire, que ce soit un concierge ou un directeur de maison de disques. C’était elle à 18 ans et c’est encore elle à 28 ans : complètement imperturbable, complètement elle. « ]. Adele me dit : « Toute ma vie tourne autour de mon enfant, alors oui, tout est chronométré, parce qu’il a une routine. »
Nous nous asseyons sur le canapé, et je lui demande si elle a toujours cette peur de monter sur scène, une peur qu’elle connait si bien (Lors de ses débuts et même en 2011, Adele avait un stress énorme avant de monter sur scène, ndlr) : « D’une certaine manière, ça a évolué. » dit-elle « Je suis stressée mais pas au point de vomir et d’éviter à tout prix de monter sur scène ». Elle me raconte qu’elle n’a pas besoin de partir en tournée et qu’elle ne comprend pas comment certaines personnes pouvaient être accro aux tournées. « Je voudrais toujours enregistrer des albums mais je m’en sortirais si je n’entendais plus les applaudissements. Je pars en tournée simplement pour voir tous les gens qui m’ont vraiment soutenue. Je me fiche de l’argent. Je suis Anglaise et nous n’avons pas tout ce truc autour de l’argent… de gagner plus tout le temps. Je ne viens pas pour l’argent, pour moi l’argent n’est pas si important que cela. Évidemment, j’ai de belles choses grâce à l’argent et je vis dans un endroit plus agréable que là où j’ai vécu quand j’étais enfant. C’était mon but depuis l’âge de 7 ans, je me disais toujours « je ne vivrai pas ici ». Je me fichais de comment j’allais m’en sortir, je me fichais de savoir où j’allais vivre mais je savais pertinemment que je ne vivrai pas ici. J’aime être célèbre pour mes chansons mais je n’aime être au centre de toutes les attentions. J’adore faire de la musique, j’adore faire des spectacles et j’avais besoin de retourner au travail – non pour l’argent mais parce que je savais que quelque chose me manquait : je ne créais pas de musique. Mais il y a une très grosse différence entre ce que je fais pour mon travail et ce que je fais dans la vraie vie. Je ne pense pas que quelqu’un devrait être célèbre pour aller à une épicerie ou une aire de jeux ». Elle me dit que, quand elle est devenue célèbre, les gens de sa famille ont vendu des histoires à son sujet et que ses amis d’enfance ont vendu des photos. « J’apprécie quand il y a de l’argent en jeu » dit-elle « mais vous pourriez chercher un job. Le problème, c’est qu’on ne peut pas parler des revers de la célébrité, parce que les gens ont l’espoir, ils s’accrochent à l’idée de ce que cela serait d’être célèbre, d’être adoré, d’être capable de créer et de faire de belles choses… l’argent rend les gens vraiment bizarres. »
Une petite aparté sur son rire qui est souvent décrit comme un « cackle » (littéralement un gloussement) mais qui en réalité est plus un rire rauque qui montre qu’elle apprécie quelque chose qu’elle ou quelqu’un a dit. D’après Beyoncé, « il est si facile de lui parler et d’être à ses côtés. Elle est tellement drôle et ses retours musicaux sont légendaires (Le 18 octobre 2015, pendant la pub de l’émission X Factor, Adele a dévoilé le teaser de Hello créant un buzz immédiat sur Twitter, ndlr). La chose la plus belle au sujet d’Adele c’est qu’elle s’en tient à ses priorités. C’est une femme gracieuse et l’être le plus humble que je n’ai jamais rencontré ».
Adele Laurie Blue Adkins est née il y a 28 ans à Tottenham, à Londres, et a été élevée principalement par sa mère célibataire, Penny, avec l’aide de ses grands-parents paternels. À l’âge de sept ans, elle a tout de suite remarqué qu’elle savait chanter et elle a passé des années dans sa chambre en se faisant passer pour la chanteuse britannique Gabrielle et les Spice Girls. En 2006, elle sort diplômée de l’école « BRIT School » et est rapidement « découverte » grâce à une démo postée sur My Space. Et elle signe, à l’âge de 18 ans, chez le label indépendant Xl Recordings. En même temps, elle rencontre Dickins – issu d’une famille britannique très branchée sur les affaires en musique – et depuis ce jour, ils forment une équipe soudée. En 2008, elle sort son premier album, 19, on y retrouve le morceau Chasing Pavements qui deviendra très vite un tube. Et en Octobre 2008, son passage à l’émission Saturday Night Live (ce soir là, Sarah Palin était également invitée) lui a permis de lancer sa carrière aux Etats-Unis – où 19 sera certifié triple disque de platine. Avant la sortie de 19, afin de vouloir signer un contrat de disque spécialement réservé pour l’Amérique, elle est allée chez Columbia Records (c’est actuellement sa maison de disques aux Etats-Unis, ndlr). Le président et le chef de la direction, Rob Stringer, raconte : « Elle a marché dans notre couloir, une clope au bec, et elle a vu les photos de Barbra Streisand, de Bob Dylan et de Beyoncé sur le mur. Elle semblait dire: ‘Ouais ! Je serai sur ce mur moi aussi !’. » Elle a remporté deux Grammys en 2009 et le reste n’en est que plus exceptionnel pour une chanteuse qui ne danse pas, qui évite les grosses productions (Ses concerts sont à image : simples, ndlr), qui ne s’habille pas comme une stripteaseuse de bas étage, qui ne fait pas de play-back, qui n’approuve aucun produit commercial et qui n’emploie pas les mots « Ma marque ». Rob Stringer raconte : « Elle a vraiment le temps de réfléchir à sa musique, parce qu’elle ne passe pas son temps à faire des concerts privés ou des publicités pour Coca-Cola ».
Et tout cela conduit à des records de ventes impressionnants, à une époque où les gens ont arrêté d’acheter la musique. En 2011, elle sort son deuxième album 21, qui est porté par les tubes Rolling In The Deep et Someone Like You. Il a été numéro 1 dans les charts du BillBoard (un magazine anglais consacré à l’industrie du disque, ndlr)pendant 24 semaines et est resté dans le top 5 pendant 39 semaines consécutives – un record dans l’histoire du BillBoard. En 2011 et 2012, Adele, avec 21, a vendu le plus d’albums dans le monde entier en une période de deux ans depuis Michael Jackson et son album Thriller, en 1983 et 1984. A ce jour, 21 s’est écoulé à 35 millions d’exemplaires. En 2012, elle a tout raflé aux GRAMMYs Awards avec 6 récompenses, dont le prix du « Record de l’année », « Chanson de l’année » et le prestigieux « Album de l’année ». Le producteur Rick Rubin, qui a travaillé avec elle sur 21, explique : « Outre cette voix absolument unique, Adele a un réel don pour écrire de belles et pures chansons. Nous avons toujours discuté sur la façon de tirer le meilleur profit de ses chansons, de ne pas les retoucher. Elle commence toujours ses chansons ; parfois elle ne renonce pas à une collaboration afin de trouver comment finir parfaitement une chanson. Mais toute la perfection de son travail vient vraiment d’elle, et seulement d’elle ».
En décembre 2013, Adele est décorée Membre de l’Ordre de l’Empire britannique par le prince Charles pour son service à la musique. Son troisième album, 25, a passé 10 semaines numéro 1 dans les charts américains ; le clip du premier single (Hello) a été vu 1.6 million de fois par heure les deux premiers jours de sa sortie. Récemment, des rumeurs laissent sous entendre qu’Adele est en pleine renégociation de son contrat avec Columbia Records pour une somme sans précédent de 130 millions de dollars. Selon Stringer : « Cette année, 25 s’est vendu à plus de 10 millions d’exemplaires, ventes physique et numérique confondues – facilement deux fois plus que n’importe quel autre artiste ». Adele a également remporté un Oscar pour sa chanson Skyfall, bande originale du film éponyme, son concert Adele Live In New York City (concert qu’elle a enregistré le 17 novembre 2015, diffusé en décembre aux Etats-Unis pour la promotion de 25, ndlr) a été nominé pour 4 Emmys (mais Adele n’a rien remporté, ndlr) et elle devrait, cette année, recevoir plusieurs nominations pour les GRAMMYs avec son troisième album (Les nominations pour les Grammys 2016 se sont arrêtées fin septembre 2015, ce qui explique qu’Adele n’était pas nominée pour l’année 2016, ndlr). Selon son ami, le présentateur du The Late Late Show, James Corden, dont le Carpool Karaoke avec Adele a été vu plus de 130 millions de fois (un recor), Adele est « la plus grande star de la planète. Et pourtant elle est encore avec nous, bien présente. En tant qu’interprète, elle nous représente ; toutes ces émotions qu’elle exprime à travers ses chansons sont des sentiments que nous avons tous. Elle est fidèle à elle-même et authentique ».
Le lendemain de son second concert à Los Angeles – c’est un jour de repos pour Adele – on se retrouve au restaurant Soho House dans une pièce privée pour le déjeuner. Elle est arrivée exactement à l’heure, elle portait une tunique noire et des sandales « gladiateur ». Elle a opté pour un chignon et, exactement comme hier, elle n’est pas maquillée. Elle me dit que, dorénavant, elle ne peut plus boire de caféine, elle commande donc un déca et un sandwich. On se partage mes frites. Elle a regardé son téléphone seulement une fois – pour s’assurer que son fils allait bien – et nous avons parlé pendant près de deux heures. On a discuté à propos de ses shows et de la manière dont elle arrive à rendre un concert de 20 000 personnes très intime. A chaque concert, elle ramène des gens du public sur scène pour un câlin ou, comme ce qui s’est passé la nuit dernière, un imitateur ou chanteur – hier soir, c’était une drag-queen imitant Adele qui a la chance de monter sur scène et qui n’a pas eu honte d’annoncer au public ses prochaines représentations. La vraie Adele, elle, pour ces concerts, alterne avec 4 robes Burberry identiques et, juste après le show, elle se change en vitesse pour monter dans la voiture qui l’attend et s’en va avec Simon à son hôtel. « C’est comme America’s Got Talent (la version américaine de La France A Un Incroyable Talent, ndlr) » me dit-elle « Je sors rapidement de scène et saute très vite dans la voiture ». Elle se dit très « énervée » quand elle voit des gens dans le public regarder leur téléphone (ce qui nous rappelle cet épisode à Vérone où Adele s’est adressée à une personne du public qui la filmait avec une caméra professionnelle sur un trépied). « Les gens préfèrent avoir une photo à montrer à leur entourage que de profiter réellement de l’instant présent », me dit-elle, « C’est bizarre. Quand j’ai commencé mes concerts, il y a environ 10 ans, personne n’avait son téléphone allumé. Et maintenant, j’ai l’impression de faire un spectacle pour 18 000 portables. C’est plutôt agréable avec toutes ces lumières… Mais maintenant personne n’apprécie vraiment ce qui passe à l’instant présent – les gens sont toujours sur leurs téléphones. Ce wi-fi, c’est en train de détruire toute forme de relations.. Je vous le dis, on va en voir les effets dans 25 ans ».
On commande des boissons non alcoolisées. Elle m’avoue qu’avant elle aimait beaucoup boire, mais depuis son opération aux cordes vocales et la naissance de son fils, elle a cessé de fumer et elle s’accorde jusqu’à deux verres de vin par semaine. « Avoir une gueule de bois avec un enfant est une torture », dit-elle, « Imaginez qu’un enfant de trois ans se rende compte que quelque chose ne va pas, c’est la merde ». Elle me raconte qu’elle n’a jamais été intéressée pour la drogue parce que, quand elle était plus jeune, quelqu’un de sa famille est mort d’une overdose d’héroine. Et « ça m’a fait vraiment peur » avoue-t-elle, « Et je suis vraiment effrayée à l’idée de prendre de la drogue. J’aimais bien être ivre mais depuis que je suis devenue célèbre, ce n’est plus possible. Le lendemain d’une soirée, je me réveillerais et je penserais systématiquement : ‘Qu’est-ce que j’ai pu faire ? Et merde, qu’est-ce que j’ai dit ?’. Je n’ai jamais eu de trous noirs, mais quand t’es bourré et que tu es à une soirée, tu te mets à parler avec tout le monde. Je pense sincèrement que je n’écrierai plus jamais de si bonnes chansons que celles de 21, parce que je suis devenue moins indulgente avec moi-même et que je n’ai plus le temps de m’apitoyer sur mon propre sort. A l’écriture de cet album, je n’étais pas moi-même, et je pense qu’une personne ivre est plus honnête. Avant j’aurais bu deux bouteilles de vin et j’en aurais fumé des paquets de clopes. Et alors j’aurais écrit les paroles d’une chanson et le lendemain je me serais dit ‘Putain, c’est vachement bien !’. Et ensuite, j’aurais trouvé la mélodie. Mais depuis que j’ai eu mon bébé, je ne suis pas aussi insouciante et inconsciente que je ne l’étais auparavant. J’ai peur de beaucoup de choses maintenant, parce que je ne veux pas mourir ; je veux être au près de mon enfant. Je suis très présente, alors qu’avant c’est tout le contraire. Je n’aurais jamais fait quelque chose de dangereux au point de me tuer auparavant, mais maintenant j’évite absolument tout ce qui pourrait m’être dangereux – comme marcher le long d’un trottoir. Je préfère marcher sur de l’herbe ou sur de la pelouse plutôt que sur le trottoir, au cas où une voiture me percuterait. De plus, je sors bien moins qu’avant. Je vais à des dîners civilisés, et je vais travailler quand j’en ai besoin, mais pour une soirée, vous devez me traîner littéralement pour que je sorte ».
Elle me dit qu’elle se considère plutôt comme une « pleurnicharde, à fleur de peau » que comme une chanteuse et que les chanteuses qu’elle aime sont « extraordinaires – d’un tout autre niveau ». Elle pense notamment à ses anciennes influences Etta James et Ella Fitzgerald. Elle adore Beyoncé, et ce depuis l’âge de 11 ans et l’a connue grâce à « No, no, no » des Destiny Childs. « Elle est ma Michael Jackson » raconte-t-elle. Les deux autres femmes qu’elle admire sont Stevie Nick – « Je n’arrive pas à trouver les mots pour dire comment je l’aime » et Bette Midler. A propos de Midler, Adele me dit : « J’adore de toute évidence Bette depuis des années. J’aime son sens de l’humour et c’est une putain de grande chanteuse, une chanteuse vraiment incroyable, quoi. Quand j’ai regardé son spectacle, j’ai vraiment eu l’impression de regarder la dernière légende vivante. Plus personne n’est comme elle ». Les deux femmes concernées retournent le compliment : « Adele est une reine », raconte Stevie Nicks, « C’est très satisfaisant et impressionnant de voir son succès. Sa chanson When We Were Young me fout le frisson et me fait pleurer. Je pense qu’elle peut faire n’importe quoi. Et je pense qu’elle fera tout. » Et Bette Midler, qui était au concert d’Adele hier soir, m’a dit : « La voix d’Adele est tellement belle et souple. Elle est capable de tout faire avec une telle voix. Son plus grand talent c’est qu’elle vous touche en plein coeur. Elle est absolument hilarante. Tout le monde est prêt à avoir une place de concert pour aller la voir, non seulement pour sa musique mais aussi pour la relation intense qu’elle entretient avec son public et sa capacité à le faire rire, danser et pleurer en une seule et même soirée ».
Adele me dit : « Chaque jour, j’apprécie les femmes de plus en plus. Quand t’es âgé entre 15 ans et 19 ans, tu vois plus les femmes comme une compétition, une menace plutôt que des personnes qui donnent la vie, qui vous tiennent la main et qui ont plus d’expérience que vous. Ainsi, plus il y a des femmes dans ma vie, mieux c’est ». Quant à sa relation avec Simon (homme d’affaire de 41 qui gère la société à but non lucratif Drop 4 Drop), elle attribue leur différence d’âge (14 ans) en expliquant que Simon sait gérer et est à l’aise avec son succès. « Je n’ai pas envie d’être avec n’importe qui du show business, parce qu’on a tous un ego. Simon, lui, ne sent pas menacé par toutes les décisions que je prends et que je fais, et ça c’est tout simplement extraordinaire. De toute ma vie amoureuse, la relation que j’ai avec Simon est la plus sérieuse : nous avons un enfant et nous vivons ensemble. Après la sortie de mon premier album, toutes les personnes avec qui j’étais en couple étaient si peu sûres d’elles-mêmes – elles n’arrivaient pas à supporter mon succès. Quand j’essaye d’expliquer ma relation avec Simon à mes amis, ils ne le comprennent pas toujours, parce que, eux, ils sortent avec des gens de leur âge. Mais je sais que Simon est mature, et moi je commence à devenir celle que je suis vraiment. Il est sûr de lui. Il est parfait ».
Je lui demande pourquoi, à chaque fois qu’elle est en train de discuter avec le public durant un concert, elle décrit ses chansons comme « tristes et pitoyables », alors qu’en réalité, elles sont très matures et réfléchies. Elle me dit : « J’ai toujours été attirée par la musique triste. J’ai toujours été mélancolique aussi. Évidemment, dans la vraie vie, je ne suis pas si mélancolique et triste que mes chansons, mais j’ai un côté sombre. Je peux facilement faire une dépression. Ça a commencé à la mort de mon grand père, quand j’avais environ 10 ans. Bien que je n’ai pas eu de pensées suicidaires, j’ai fait beaucoup de séances de thérapie. Mais », souligne-t-elle, « je n’ai pas eu le même ressenti avec la naissance de mon fils et cette dépression post-partum, c’était un sentiment complètement différent ». J’enchaîne sur ses anciennes connaissances qui étaient autrefois le sujet de ses chansons : qu’en est-il de ces personnes ? « Il y avait une raison pour laquelle, à l’époque, je les aimais. Pendant un moment, c’était la haine qui avait pris le dessus. Mais aujourd’hui, je suis une adulte, je suis une mère, je suis beaucoup moins maladroite. C’était des gens intéressants et même si nous ne sommes plus amis et qu’on ne se voit pas régulièrement, j’en ai des nouvelles et tout va bien ».
Je lui demande pourquoi elle était si réticente à l’idée du streaming et elle me répond : « Je voulais prouver quelque chose. Tout le monde m’avait dit que le streaming, c’est le futur. Bien, si quand même c’est le futur, on y est pas encore dans ce putain de futur. Je voulais montrer que si les gens aimaient suffisamment un album, ils sortiraient et iraient l’acheter. Et ils l’ont fait. (L’album 25 s’est vendu à plus de 20 millions d’exemplaires, ndlr) ». Elle me dit qu’elle s’est projetée dans le long terme, et que peut-être elle ne ferait plus une si grande tournée comme celle-ci, et qu’éventuellement, un jour, elle pourrait faire 20 spectacles au même endroit, à Las Vegas, par exemple. Elle me dit aussi qu’elle adorerait jouer le rôle de Mama Rose dans la comédie musicale Gypsy à Broadway. Mais elle ajoute: « ce sera plutôt quand j’aurai 50 ans ».
Alors que nous commencions à se détendre et qu’elle se préparait à partir rejoindre Simon et son fils, elle me dit : « je veux chanter mes chansons quand j’aurai 70 ans. Avoir une chanson, n’importe laquelle qui a eu un impact énorme sur le public (j’en ai 4 ou 5 qui ont vraiment touché le public) c’est énorme, c’est pour ça que je fais de la musique ». Mais elle ajoute : « Toutes mes relations sont vraiment plus importantes que n’importe quelle tournée que je pourrais faire. Si aujourd’hui ma relation avec Simon ou celle avec Angelo commençait à battre de l’aile, j’arrêterais ma tournée, sans hésiter. Ma vraie vie est plus importante pour moi que tout ce que je fais car comment suis-je sensée écrire un disque si je n’ai pas de vie ? Si je n’ai pas une vraie vie, alors j’arrêterais ce jeu ».
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