Interview originale en anglais disponible ici.
Texte: Hattie Collins
Photographie: Alasdair McLellan
Fashion Director: Alastair McKimm
Hair: Malcolm Edwards pour Art Partner
Make-up: Mark Carrasquillo pour Art Partner
Nail: technician Jenny Longworth pour CLM
Photography assistance: Lex Kembery, Matthew Healy, Simon Mackinlay
Styling assistance: Lauren Davis, Sydney Rose Thomas, Bojana Kozarevic
Hair assistance: Jason Lawrence
Make-up assistance: Al Yokomizo
Production: Nina Qayyum pour Art Partner, Ragi Dholakia, Alex Hill, Matthew Lawes
Retouching Output
Remerciements particuliers à Gaelle Paul
Les photos sont disponibles dans notre galerie :
Adele Adkins est une anomalie. Elle a gagné au jeu du succès en refusant de s’y soumettre, et sa musique s’en porte d’autant mieux. Elle est probablement la plus grande chanteuse anglaise de sa génération. Dans sa première interview depuis des lustres…
À dix ans, Adele perd son grand-père. « Je l’aimais tellement, plus que tout au monde. » Plus que son chagrin à elle, Adele a ressenti celui de sa grand-mère, très fort en elle. « Mon grand-père et ma grand-mère formaient un couple idéal à mes yeux – amis, amoureux, respectueux. Même si je ne sais pas tout, pour moi, c’était le paradis entre eux. Et j’ai été très, très triste. » Tant et si fort qu’Adele décida qu’elle deviendrait médecin quand elle serait plus grande. « Je voulais réparer le coeur des gens », nous avoue-t-elle. Un an après ce triste événement, Adele commence à prendre des cours de biologie dans une école très réputée d’Angleterre. Jusqu’à ce qu’elle découvre la vie, côté cool « et les garçons. Surtout. Bref, j’ai abandonné, car le coeur n’y était plus. » Et c’en était fini des ambitions médicales d’Adele Adkins.
Dix ans plus tard, Adele retourne à la maison, à Londres, après avoir enregistré à Los Angeles, ce qui deviendra son premier album, 19. Quelque douze heures de vol et un jet-lag phénoménal plus tard, Adele se rend chez sa maman, dans la maison familiale. « Je lui ai joué la version de Someone Like You, se souvient-elle, « Elle avait la larme à l’oeil. ‘Tu es médecin,’ m’a-t-elle dit, ‘Tu soignes le coeur des gens.' »
Lorsqu’ Adele s’est décidée à écrire son dernier album, 25, elle s’est empressée de courir dans la première papeterie venue (« Et oui, il m’arrive de courir« , nous glisse-t-elle en riant) pour s’acheter un joli carnet. « C’est un rituel que je compte perpétuer pour chaque nouvel album. J’achète un carnet, je renifle le papier – c’est très important l’odeur du papier – et puis j’achète un beau stylo pour écrire mon âge sur la première page. 25. J’ai ajouté cinq points d’exclamation derrière, parce que quand même, je me suis dit, ‘wow, 25 ans, déjà?! Hier encore, j’en avais 21. » Son album parle du fait de devenir adulte, et de la sensation de nostalgie qui survient avec l’âge. C’est ce qui a été, ce qui est, ce qui aurait pu être aussi. C’est le manque, le désir de retrouver des instants précieux qu’on pensait dérisoires, comme avoir 18 ans et s’enfiler deux bouteilles de mauvais cidre dans un parc glauque avec tous ses copains. »C’étaient les plus beaux moments de ma vie, et j’aurais aimé savoir à cet instant précis, que jamais plus je ne pourrais m’enfiler ces deux bouteilles de mauvais cidre sans avoir l’air ridicule. » Non parce qu’elle est célèbre, mais parce que sa vie – et celles de ses amis – ont changé. Plus personne n’est dans l’adolescence. « Je pense que mon album évoque le passage à l’adulte, le mouvement vers une vie plus sage, nous dit-elle, dans un murmure. Maintenant que je suis maman et adulte, je n’ai plus le temps de m’inquiéter des choses pour lesquelles j’avais l’habitude de m’inquiéter avant. » Elle aimait s’inquiéter? « Oui, énormément. J’adore voir la vie côté dramatique! Mais maintenant que j’ai un enfant, je dois laisser filer une partie de moi-même et tirer un trait sur certaines choses. Mais c’est très cathartique de laisser filer ce qui nous a fait souffrir, dans un sens ou dans l’autre. Et comme je suis très rancunière, c’est agréable de ne pas se raccrocher sans cesse à son passé.«
25 sera sans doute considéré par certains critiques comme une longue rumination su la gloire et la fortune. Mais ce n’est pas que ça. Tout comme ses anciens albums en témoignent, Adele parvient brillamment à retranscrire son vécu, son expérience à elle, et touche l’universel. Pourquoi ? Par sa voix, oui, mais aussi ses paroles, simplement puissantes et ô combien évocatrices pour qui veut bien les entendre. Son coeur se brise, le nôtre avec elle. Elle se bat, nous nous battons, quoiqu’on fasse et qui que nous soyons. 25 est le reflet de notre existence, de notre jeunesse, une réminiscence perpétuelle à nos 20 ans, qu’on soit plombier, victime du star-system ou simplement nous-mêmes.
25 n’est pas 21, cet album aux 30 millions de ventes et multi-auréolé par la critique et les prestigieux prix de la musique, et qui l’a vu se transformer en star inter-planétaire. « Je ne voulais pas réitérer 21. Je n’allais pas réécrire mes chagrins d’amour sur le papier, parce que je n’ai pas le coeur en miettes aujourd’hui. Mais je ne pourrai pas faire mieux que ce que j’ai fait alors, que faire? C’est un peu cliché ce que je dis, nous murmure-t-elle. Le sentiment que j’ai eu lorsque j’ai écrit 21, je ne veux pas le vivre à nouveau. » De quel sentiment parle-t-elle? « Celui de la tristesse, de l’amertume et de la solitude. Je ne veux plus jamais vivre ça de ma vie. »
Adele Laurie Blue Adkins, aujourd’hui âgée de 27 ans et avec un MBE sur elle, rien de moins, réapparaît, trois ans après ses dernières interviews. Elle a son Macbook Pro sur elle, ses écouteurs, un bomber XL, et un sac Bob The Builder. Elle nous demande un thé vert; « J’essaie d’avoir une vie saine. » Elle boit une lampée avant d’exploser de rire: « ça me rappelle le gout des wontons, » nous glisse-t-elle.
En leggings noirs, veste noire, cardigan noir et Nikes 5.0+ noires, sans vernis, sans bijoux, si ce n’est deux boucles d’oreilles discrètes, Adele se présente humblement et se prépare à jouer sept chansons pour i-D. « Je suis stressée, nous avoue-t-elle, ses grands yeux verts perdus dans les fils du jack qu’elle s’apprête à brancher. Vous êtes les premiers à l’entendre après mon manager. La voila qui pianote discrètement sur son Itunes. Bon, allez, bordel, qu’est-ce que je joue en premier? Ok, ce sera Hello, et c’est mon premier single. » Le titre qui a cassé Internet il y a seulement deux semaines pour une publicité X-Factor. Elle appuie sur play et soudain, silence. Entendre la voix d’Adele après quatre ans d’absence, est une sensation au-delà de l’imaginable. Trois minutes et demie plus tard, la chanson se termine et les larmes coulent toutes seules, impassibles, sur nos joues humides. En tout cas, sur mes joues à moi.
Elle a tourné le clip à Toronto, début octobre avec le réalisateur auréolé et acclamé, Xavier Dolan. Il l’a faite jouer, et contre toute attente, elle a adoré. « Il m’a dit que je n’étais pas mauvaise. Je devais pleurer, et tout. Vous savez, je me sens un peu bête aujourd’hui de dire ça, alors que j’aurais dû faire du théâtre bien plus tôt, parce que j’adore ça. Vraiment. » Adele a dû quitter son fils Angelo, âgé de deux ans à la maison pendant le tournage. Une séparation difficile. « C’était très dur de ne plus être avec lui. » Qu’est-ce que ça fait d’être maman? « C’est putain de dur. Je pensais que ce serait simple. Tout le monde le fait donc ça ne doit pas être si terrible que ça. Oooooooh si, soupire-t-elle, théâtrale. Je n’en avais aucune idée. C’est dur, mais c’est aussi magique, évidemment. C’est un sentiment merveilleux. Le monde tournait autour de moi, aujourd’hui il tourne autour de lui. » L’éducation qu’Adele a reçue ne sera pas la même pour Angelo, son fils. Seule avec sa mère, Penny, à Tottenham, Adele est issue d’une famille de classe moyenne. « J‘ai eu une super enfance. J’ai été aimée, choyée. Et maintenant que je suis mère, je me rends compte de l’influence que cela a sur mon rapport avec Angelo. Les valeurs que je veux lui inculquer sont les mêmes, mais l’environnement dans lequel il va grandir est différent. Ce sont deux mondes. Et j’en suis consciente.«
Dans la même veine que Someone Like You, Hello, produit par Greg Kirstin, est un trait de nos existences, à tous. Il vous brise le coeur, vous transporte, vous émeut. « Le titre évoque la séparation, le mal qu’on fait aux autres, et c’est aussi un moyen de me retrouver, moi, dans ma chanson, nous explique-t-elle. C’est un signal à mon autre moi. Quand je suis en tournée, ma vie à la maison me manque terriblement. Ce sentiment que je ressens lorsque je ne suis pas en Angleterre…Elle s’arrête, marque un temps. Le déracinement. Je ne peux pas respirer ailleurs qu’ici. Je ne saurais dire pourquoi. Tout me retient ici. Tout me manque. Et Hello c’est aussi ce désir de vouloir être à la maison, de faire la paix avec soi-même et ceux qu’on a blessé, un jour. Et s’excuser, surtout. »
La première fois que j’ai vu le clip, je pensais qu’il s’agissait plus d’une histoire d’amour avec un ex, comme Someone Like You. « Mon Dieu non« , corrige-t-elle immédiatement. « J’en ai fini avec cette histoire, dieu soit loué. Ça m’a rongé pendant tellement d’années. Non, ce n’est pas à propos de quelqu’un en particulier, c’est à propos de moi, de ma famille. Et de mes fans. J’ai l’impression qu’on pense que je suis intouchable et impassible, mais c’est faux. D’ailleurs, tout le monde croit que j’habite aux States, et non. » Elle a cette mentalité très british et très ancrée dans son milieu social, que beaucoup partagent – la peur d’oublier qui l’on est, d’où l’on vient et ce qui nous a fait grandir. « Parfois, les gens ont peur de me revoir changée. Moi j’aime penser que non. Je ne crois pas avoir changé, malgré tout ce qui m’arrive.«
Elle nous chante sept titres. On peut entendre l’hymne fantomatique de I Miss You. Adele dodeline de la tête, les yeux clos. Ça parle de sexe cette chanson, non? Elle explose de rire, encore une fois. « Ça parle d’intimité. Donc de sexe, mais aussi des disputes, de tous les instants les plus forts de mon existence. Ceux qui surviennent quand tu te laisses aller. Un peu comme l’alcool, le meilleur syndrome de vérité. C’est un peu mon motto dans la vie. Mais bon, j’évite de trop boire, parce que le lendemain matin c’est la panique totale. » Adele aussi parle trop quand elle a bu, nous voilà rassurées.
When We Were Young, qu’elle entonne pour nous juste après I Miss You, pourrait aisément devenir le Rolling In The Deep de l’album. Une bonne grosse chanson d’amour, aux élans seventies de ballade disco. Produite par Ariel Rechtshaid et co-écrite par Tobias Jesso Jr., (un illustre inconnu jusqu’à ce qu’Adele tweete son nom sur son compte aux 23.4 millions de followers) qu’elle a découvert après avoir écouté son morceau, Hollywood. Adele s’est envolée pour Los Angeles et a enregistré son futur titre dans la maison d’un ami de Tobias, sur le piano de Philip Glass. « C’était le genre de maison rêvée pour faire d’énormes fêtes et dieu sait pourquoi, son piano était là, seul, alors nous avons composé la chanson là-bas. »
A Million Years Ago nous a fait renifler plus que de raison. Bon, elle m’a fait reniflé plus que de raison. I miss the air/ I miss my friends/ I miss my mother/ I miss it when life was a party to be thrown /but that was a million years ago.
« Vous aimez vraiment celle-ci? me demande Adele, étonnamment surprise. On l’a ajouté il y a seulement trois jours, à la dernière minute. Elle est brute, très 19. C’est juste ma guitare et moi. » Elle choisit de nous en jouer une autre. « Vous préférez laquelle? Danger Mouse ou celle de Bruno Mars? » Impossible de choisir, on dirait bien les deux. Et contre toute attente, Adele s’exécute: ce sera les deux. River Lea est un peu le Hometown 3.0. ‘When I grew up as a child I grew up on the River Lea/ Now there’s some of that water in me. To wit: I’ll never change. Tottenham is my mind, body and soul.’ Adele y exprime ce même sentiment de déracinement et de solitude et revient sur ses origines, surtout. Celle de Bruno Mars est puissante, presque drôle. « Je n’avais jamais chanté aussi fort de ma vie. Et on s’est tellement marré. Vous imaginez ? Bruno Mars et moi ? » Oui, on peut.
Contrairement à ses deux premiers albums, empreints de mélodies soul et R&B, 25 s’inscrit dans l’air du temps et la pop contemporaine. Bien qu’on sente quelques notes très seventies dans quelques titres – des échos aux Carpenters, Aretha ou Stevie Nicks, qu’elle a rencontré récemment pa ailleurs. Elle prend beaucoup de plaisir à nous raconter leur entrevue. « J’étais tellement émue. Je n’aime pas trop pleurer en face des gens connus parce qu’on a l’air un peu stupide, ou fou, et ça peut réellement les mettre mal à l’aise. Mais je n’ai pas pu me retenir. »
Beaucoup de temps s’est écoulé, depuis les prémisses de l’album jusqu’à son enregistrement final. Adele voulait prendre son temps. « Parfois, je me dis que j’aurais pu aller plus vite. Mais vous savez, je venais d’être maman. Et il faut savoir se laisser désirer. » Adele a bien tenté en 2013 de retourner aux studios de son amie Kid Harpoon, pour se remettre en piste. « Je n’étais pas prête. Je me suis dit que ça attendrait, que je n’aurais rien fait de bien, si tôt.«
Lorsqu’elle s’est rendue, quelques mois plus tard, à New York pour travailler avec Ryan Tedder, l’homme derrière OneRepublic avec qui elle avait produit Turning Tables et Rumour Has It, Adele a écrit Remedy. Un hommage à son meilleur ami, ses grands-parents et son amoureux, mais surtout, à son fils, qu’elle a eu avec Simon Konecki (et oui ils sont toujours ensemble n’en déplaise aux affreuses rumeurs des tabloids anglais). « J’ai adoré chanter Remedy. Du coup après, j’avais envie de fair plein de chansons et j’ai commencé à écrire. Des trucs nazes. Elle se reprend, réfléchit. Bon, non, ce n’était pas naze. Mais c’étaient des titres très pop, sans grande profondeur, je n’avais pas trop envie de me plonger dedans, en fait. Et mon manager m’est tombé dessus. Il m’a dit, ‘Ce n’est pas assez bien’. Ouch. Mon estime en a pris un coup. Et puis je suis partie voir Rick Rubin pour lui jouer mes morceaux et il m’a lancé, ‘Je ne te reconnais pas.’ Et voilà, c’était en fait ma plus grande peur : que les gens ne me reconnaissent pas dans mes chansons et que je manque de sincérité. Je suis donc retournée au point zéro et j’ai tout recommencé. »
Send My Love To Your New Lover a été écrite et pensée par Adele alors qu’elle n’avait que 13 ans. Juste après sa grande décision d’arrêter la médecine (tout ça à cause des garçons…), en 2008, Amy Winehouse sortait Frank. Adele s’emparait alors de sa guitare et commençait à écrire, frénétiquement. « Sans Frank, et sans Amy, je n’aurais jamais pris ma guitare, ni écris Daydreamer ou Hometown, ni même Someone Like You. Contrairement aux rumeurs, Amy et moi ne nous connaissions pas beaucoup. Nous n’étions pas amies, ni mêmes vaguement copines. Je suis allée à la Brit School, elle y a fait un saut. Mais très certainement, sans elle, ni Frank, rien ne serait sorti de ma bouche. Je l’adorais. Et j’admirais sa musique.«
Nous avons ensuite discuté du documentaire Amy. « Je l’ai vu, oui, a-t-elle déclaré. Je n’avais pas nécessairement envie de le voir. J’aimais beaucoup Amy et j’ai traversé une longue phase de deuil à sa mort, en tant que fan. Je suis consciente de l’impact qu’elle a eu dans ma vie, dans tous les domaines. J’ai tant d’admiration pour son travail. Puis j’ai lu une critique du documentaire et j’ai fini par aller le voir. » Qu’en a-t-elle donc pensé ? « Les images de son enterrement m’ont profondément touchée. Mais j’ai été moins fan des enregistrements de ses messages vocaux et les passages dans ce genre-là« , dit-elle en fronçant les sourcils. « J’ai eu l’impression que l’on me mettait dans une position intrusive, un sentiment qui m’a mise mal à l’aise et qui a gâché une part de mon expérience. J’ai adoré la regarder elle sur l’écran mais je crois que j’aurais préféré ne pas voir le documentaire. Quoi qu’on en dise, j’adore Amy. Je l’ai toujours adoré, et ça ne changera jamais. Vous savez ce qui me rend le plus triste ? C’est le fait que je n’entendrai plus jamais sa voix, du moins autrement que comme je l’ai déjà entendue. » Nous avions toutes deux les larmes aux yeux. Du moins, moi. On ne peut ignorer une certaine ressemblance entre Adèle et Amy. Elles viennent toutes le deux du nord de Londres, ont grandi avec un père absent et se sont nourries à coup d’Ella Fitzgerald et Etta James. Elles pensaient toutes les deux sortir un ou deux albums, faire la couverture de Mojo puis retourner à l’anonymat ensuite. Comme vous le savez, leurs vies respectives (et carrières) ont pris un tout autre tournant – à leur grande surprise. Mais l’une est encore là et l’autre nous a quittés.
C’est la troisième fois que j’interview Adèle. La première fois date de 2008 et la seconde de 2011. Elle a toujours été de très bonne compagnie : absolument hilarante, engageante, curieuse, terriblement intelligente et infailliblement honnête. Dans le passé, elle prenait un malin plaisir à se moquer des pop stars – avec beaucoup d’affection et jamais aucune méchanceté – un peu comme Amy Winehouse avait pour habitude de tailler ses confrères et consoeurs avec toujours beaucoup de charme et de légèreté. Mais il semblerait qu’elle soit devenue un peu plus prudente qu’auparavant. Dieu merci, son piquant et son côté sauvage sont restés intacts. « J’ai accouché quelques jours avant l’avant-première de Skyfall, c’est la raison pour laquelle je n’avais rien préparé pour l’occasion. Je savais que mon bébé aurait pu faire irruption à tout moment ! »
Ces quatre-vingt-dix minutes en compagnie d’Adèle ont été denses et son débit de paroles, plutôt impressionnant. Elle n’a pas de compte Facebook ni d’abonnement Netflix mais elle est obsédée par les émissions MTV de type Teen Mom, the Walking Dead ou encore American Horror Story. À son habitude, Adèle ne fait pas de faux-semblants : la réussite de son permis aurait été un des moments les plus importants de sa jeunesse mis à part les prix qu’elle a gagnés. (« Je peux conduire ! Je n’en reviens toujours pas »). Elle criait « absolument tout le temps » lorsque son titre Someone Like You est arrivé en haut de l’affiche et se souvient avec émotions et fierté de son incroyable performance à la cérémonie des Brit Awards. « Je n’avais pas du tout conscience de la manière dont cet événement aller changer ma vie. Je me pissais dessus à l’idée de monter sur cette scène et hurler dans un micro toute seule. Je pensais que tout le monde allait finir par me huer. » Elle nous parle ensuite de la cérémonie des Globes et à quel point elle et « la crème d’Hollywood » étaient tous plus bourrés les uns que les autres. En sortant de scène, Adèle a agrippé la main de quelqu’un qui s’avérait être celle du grand et de l’unique « George-fucking-Clooney! » Adèle nous parle ensuite de son dernier clip, Hello et de ce moment où Xavier Dolan lui a demandé de pleurer. Elle nous confie avoir demandé que le titre Jealous de Labrinth soit joué en fond. « À l’instant même où les premières notes de piano ont retenti, dit-elle en mimant un gémissement, j’ai morvé partout. Cette chanson me fait toujours ce même effet. Je serais capable de me mettre à pleurer à l’anniversaire de mon propre enfant si quelqu’un avait le malheur de la passer. » Chez elle, son Oscar est placé de façon très minutieuse : « J’ai ma robe spéciale tapie rouge, mon Oscar et l’enveloppe qui l’accompagne dans une vitrine, juste à côté de mon prix de ‘La Meilleure Maman du Monde‘ » Les Brits Howards, un Grammy et un Oscar … 2011 aura été une année folle pour la star. « Vous imaginez ?! » Adèle en parle avec toujours autant de surprise. Lorsqu’une personne du label XL la repérait en 2007 sur Myspace et la contactait dans l’espoir de la rencontrer, Adèle pensait à une blague. « Je n’ai rien vu arriver. Je ne réalisais absolument pas les proportions que cela allait prendre.«
Elle semble avoir du mal à laisser la conversation se diriger vers certaines zones de sa vie privée – elle n’a pas une seule fois mentionné le nom de son fils ou de son petit ami. Quant à son père, dont elle a été séparée pendant des années, elle l’évoque seulement quand elle parle de son grand-père. Elle ne le décrit pas comme « le père de mon père » mais marque un arrêt et dit « pas le père de ma mère« . Cette interview l’angoissait, nous a-t-elle avoué. « Lorsque tu donnes des interviews à la chaîne, tu sais grossièrement ce que tu vas dire à chaque fois, et quelles questions vont t’être posées. Mais là, j’étais nerveuse, j’avais peur qu’on me demande ‘Pourquoi tu n’aimes pas être célèbre?’ Mais c’est pas ça. ‘Est-ce qu’elle déteste le succès?’ J’en ai juste peur, vous voyez. J’ai peur que cela me détruise, m’abime, j’ai peur de me perdre et de me transformer en mes idoles, qui se sont fait trop de mal. Et je crains pour les personnes que j’aime, peur qu’ils se sentent abandonnés« . Elle se rend compte que son ton est devenu très dur. « C’est comme Star in Their Eyes (star Académie anglaise, ndt), quand tu t’enfonces dans la fumée et tu deviens quelqu’un d’autre, raconte-t-elle dans un grand rire tonitruant. Je m’inquiète, je ne veux pas qu’ils me voient derrière cette fumée, et jamais ressortir. C’est toxique, le succès. J’ai assez de toxines dans mon corps, j’en ai pas besoin de plus!«
C’est du jamais vu – qu’une artiste, en 2015, joue si peu le jeu de la célibrité comme elle le fait. Imaginez un peu le nombre d’heures que Kim et la bande doivent passer sur le net à bosser sur leur marque Kardashian. Même les Ellie Goulding de ce monde passent leurs journées sur Twitter à vérifier que leurs fans comprennent et interagissent avec les moindres faits et gestes de leur incoryable quotidien. Adele tweete peu, ou pas. Elle vient de s’inscrire sur Instagram et a dû se faire apostropher sur les réseaux 2 ou 3 fois cette année. Mais comment fait-elle pour échapper à tout ça ? « C‘est certainement plus difficile d’éviter ça que de s’y mettre. Les gens le font parce que c’est plus facile. Moi, je ne peux pas. Je ne suis pas à l’aise. Qu’on me prenne en photo au supermarché du coin pour la seule raison que je sois connue ne m’intéresse pas. » Elle évoque aussi éviter les quartiers bondés de Bond Street ou de Soho « Je ne fais pas ma conasse anti célébrité, je veux juste avoir une vie normale pour écrire des disques. Personne ne veut écouter un disque fait par une personne qui a perdu le contact avec la réalité. Donc je veux une vie normale, pour mes fans. »
Ce sont les raisons pour lesquelles Adèle est si importante. Non pas parce qu’elle vend des millions de CD ou gagne des awards à la chaîne. Elle est importante aux yeux de tous parce qu’elle chante sur la vie, d’une façon extrêmment touchante peu importe son engagement, sa couverture médiatique ou l’ampleur de son audience. Elle ne joue pas au jeu de la célébrité. La sortie d’un nouvel album n’est jamais le prétexte pour qu’elle se réinvente un look ou décide d’un nouveau concept. Adèle est une artiste et refuse de prendre part à l’industrie du divertissement. Elle est pour notre génération ce que Pasty Cline, Stevie Nicks, Franck Sinatra et Aretha Franklin étaient pour les leurs. Elle crée des albums qui bousculent les consciences collectives et chante des chansons qui ont du poids. Elle les écrit elle-même, à son rythme et une fois qu’elle se sent prête, sort un nouvel album et répond aux interviews.
25 aura-t-il le même succès que 21? La question a finalement peu d’importance. Parce qu’il y aura un 29, un 42 et, souhaitons-le, un 89. Adèle est une artiste atemporelle. Elle nous donnera toujours plus, elle chantera toujours autant. Et nous croyons qu’elle restera aussi sincère, et entière. Car c’est là que se distillent sa force et son pouvoir. « Je suis très émotive là, tout de suite, maintenant qu’on termine cette première interview en quatre ans. D’autant plus parce que c’est pour i-D, le magazine que j’ai lu et chéri pendant des années. » Elle nous semble apaisée, heureuse et sereine, là, tout de suite, et plus généralement dans sa vie de tous les jours. « Pendant longtemps, j’ai cru que ce moment ne viendrait jamais, et que je ne parviendrais plus jamais à écrire et composer justement et avec autant de sincérité que dans le passé. Alors maintenant, je suis hyper fière de ces chansons. Je me pisse dessus de peur, mais c’est un bon stress« . Quels sont ses projets? « J’ai envie de faire une vraie, grande, tournée. J’ai envie d’aller voir Britney à Las Vegas. Pourquoi pas d’autres enfants. Peut-être que je vais finir actrice, comme Xavier me l’a conseillé…J’ai envie de composer encore, d’enregistrer un nouvel album. Elle s’arrête un instant et conclue. J‘aimerais arrêter le temps, le mettre à l’épreuve. Je voudrais faire de la musique toute ma vie, pour toujours, avec le même temps que j’ai mis pour faire celui-là. Si j’en ai l’opportunité, je serai la fille la plus heureuse du monde. » Elle s’est arrêtée de parler, nous aussi. Et nous avons, Adele et moi, les larmes qui nous montent aux yeux.